Quand il n’y a pas d’avantage à gagner plus!

Publié dans la Canada-Français, édition du 28 mars 2019

Nous venons de passer la période des REER et vous avez cotisé à ceux-ci dans le but de payer moins d’impôt. Afin de vous guider lors de la période des REER, on utilise souvent le taux marginal pour en calculer le bénéfice, soit le coût de l’impôt pour le prochain dollar de revenu. Il s’agit là d’une approche rapide et facile en l’occurrence. En revanche elle cache une fausse réalité, que vous constaterez peut-être en procédant à vos impôts.

Si l’on vous disait que certains contribuables peuvent voir le prochain dollar de leur revenu supplémentaire imposer à plus de 65%, vous en douteriez, ou vous seriez appelé à croire qu’il s’agit du revenu d’un millionnaire. Pourtant au Québec si vous avez gagné 200 000$ le taux marginal est de 49,7% et si vous gagnez 205 842$ et plus il sera de 53,31%. Depuis 2015, suite à la Commission Godbout, nos gouvernements québécois ont conclu de limiter le taux maximal à 50%, de sorte que les gens conservent la moitié de leurs revenus. Toutefois notre société québécoise offrant beaucoup de programmes sociaux, il a fallu que nos gouvernements trouvent de nouvelles recettes que vous serez appelé à payer sous forme de frais ou droits supplémentaires.

Selon votre revenu vous serez soit un contribuable soit un prestataire de transferts de l’état, et également vous pouvez être à la fois un contribuable et un prestataire. Cependant la ligne entre ces deux concepts n’est pas si limpide.

COURBES DE LAFERRIÈRE

La meilleure façon de calculer concrètement son taux d’imposition et de connaître l’impact financier réel d’une augmentation ou d’une diminution de revenu est de s’en remettre aux courbes de Laferrière, prestigieux professeur de l’UQAM, maintenant retraité. Il a ainsi créé des graphiques permettant de calculer avec plus de précision les taux implicites d’imposition, appelés taux effectifs marginaux d’imposition implicite (TEMI).

Les courbes de Laferrière permettent ainsi d’évaluer son revenu net, c’est-à-dire le revenu autonome, augmenté des prestations applicables, diminué des impôts, taxes, primes, cotisations et autres contributions. Les frais de garde d’enfants payés sont également pris en considération, s’il y a lieu.

Le TEMI, représente le vrai taux marginal selon votre revenu familial et les mesures sociales que vous réclamez. À la base ces mesures sociales étaient généralement universelles, mais cette époque est révolue. Ainsi, plus vous avez de revenus, plus vous devez contribuer. Attention, je ne réfère pas aux gens fortunés. Parfois une simple augmentation de revenu de 1 000$ peut faire de sorte que cette augmentation soit imposée au taux de 65%.

Dans certains cas de revenus plus faibles, il est clairement démontré que le contribuable reçoit une aide de nos gouvernements. Par exemple, en utilisant les taux fiscaux et transferts de l’année 2018, si l’on prend un couple totalisant un revenu de 30 000$, avec 2 enfants, dont l’un de moins de 6 ans utilisant une garderie subventionnée, il recevra 12 241$ d’allocation canadienne pour enfants, 886$ de crédit TPS, 7 746$ de divers crédits, de sorte qu’après paiement d’un peu d’impôt, il aura reçu des avantages totalisant plus de 16 735$ et lui restera net 46 735$. Qu’arrivera-t-il si un des conjoints a une promotion à son travail, ou change son travail temporaire pour un travail permanent et que conséquemment le revenu du couple augmente à 60 000$? Surprise, le couple a maintenant un revenu disponible de 57 530$, soit à peine 10 796$ de plus que lorsqu’ils gagnaient 30 000$, soit 64% de plus d’impôts et droits supplémentaires! Pour ceux-ci, vaut-il la peine de travailler davantage?

AUTRES EXEMPLES

Le professeur Laferrière a dressé des calculs pour 39 ménages types. Voici quelques exemples d’aberration (en se référant à 2018) :

Vous êtes monoparental avec un enfant de moins de 6 ans et ne payez pas de frais de garde, alors vous n’aviez pas avantage à gagner de 48 000$ à 55 000$ car alors le TEMI était de 65,5% à 53%.

Vous êtes une personne vivant seule? Il fallait surtout éviter de gagner entre 43 000$ et 51 000$, car votre TEMI se situait entre 47,7% et 49,1%.

Vous êtes un couple ayant 2 revenus, avec 2 enfants, dont 1 enfant de moins de 6 ans avec des frais de garderie modulés? Si vous revenus totalisaient 85 000$, votre TEMI était de 52,6% alors qu’il aurait été de 43,6% à 72 000$ si vous aviez cotisé à un REER de 13 000$.

Vous êtes une personne vivant seule de 65 ans et plus? Si vous gagniez entre 35 000$ et 42 000$ votre TEMI aurait été de 48%.

Vous êtes une personne vivant seule de 70 ans et plus? Si vous gagniez plus de 69 000$ votre TEMI était de 49,2% et plus, alors que si vous aviez gagné 68 000$ il aurait été de 42%! De là l’importance du CELI.

N’oubliez pas que les calculs changent à chaque année.

PLANIFIEZ

Même si ces droits supplémentaires à payer ne sont pas considérés à proprement parler comme de l’impôt sur le revenu, ils diminuent indûment le montant net qu’il vous reste entre vos mains. L’efficacité de la progression fiscale québécoise est un mythe. Le gouvernement québécois a bien tenté de corriger le tir par le Bouclier Fiscal, mais celui en échappe encore beaucoup. Étonnamment, ce n’est pas les contribuables les plus fortunés qui subissent les imprécisions du système. Les courbes et tableaux de Laferrière constituent un outil de travail très intéressant. Consulter votre comptable ou votre fiscaliste ou votre planificateur financier demeure la meilleure façon d’y voir plus clair. Bien entendu il ne faut pas attendre en fin de février pour vérifier votre situation dans ces courbes, mais il est évident que votre cotisation REER pourrait être bien plus alléchante que prévu.

Christian Dufour, auteur/author