Augmentation d’impôt pour les travailleurs autonomes et professionnels incorporés

Publié dans le Canada-Français, édition du 1er décembre 2016

L’imposition des sociétés diffère des particuliers selon la nature et le niveau de ses revenus. Ainsi les entreprises privées canadiennes qui exploitent activement une entreprise bénéficient d’une réduction d’impôt communément appelée la Déduction aux petites entreprises  (« DPE »). Celle-ci s’applique sur le premier demi-million de dollars gagné par l’entreprise.  Il s’agit d’une économie importante afin de permettre aux entreprises de conserver leurs fonds pour soutenir leur croissance et les réinvestir. Il ne s’agit que d’une première étape d’imposition, car lorsque les actionnaires-propriétaires reçoivent personnellement les bénéfices de la société ils s’imposent suivant les règles standard.

Quelles sont les entreprises qui bénéficient de cette déduction? Des travailleurs autonomes, des petits commerces, des professionnels. Évidemment il doit s’agir d’une affaire commerciale ou comportant un risque. Plusieurs d’entre eux ont moins de 5 employés.

NOUVEAUX CRITÈRES
Les sociétés étant imposés autant au fédéral qu’au provincial, le taux d’imposition après la réduction de la DPE est actuellement de 10,5% au fédéral et 8% au provincial. Afin de pouvoir continuer à profiter du taux de 8% au provincial, le gouvernement du Québec a changé les règles d’admissibilités. Dorénavant l’entreprise devra avoir des employés ayant travaillé au moins 5 500 heures. Suite au budget du 26 mars 2015, en deçà de ce nombre d’heures le taux passera de 8% à 11,8%. Afin de calculer le nombre d’heures, un maximum de 40 heures/semaine par employé sera admissible et ces heures devront avoir été payées (sauf pour l’actionnaire).  Ces nouvelles règles s’appliqueront à l’exercice financier qui débutera après le 31 décembre 2016.

Sont exclues de cette mécanique les entreprises oeuvrant dans le domaine manufacturier, et dans les secteurs de l’agriculture, foresterie, extraction minière ou de la pêche. Elles sont d’autant plus épargnées que leur taux passera de 8% à 4%.

PROFESSIONNELS
Le moins que l’on puisse dire est que le chemin permettant aux professionnels de s’incorporer a été long et laborieux. C’est un mouvement qui a débuté dans les années 1980 sur la base du fondement qu’il y avait iniquité fiscale entre les gens d’affaires qui eux pouvaient s’incorporer et alors que les professionnels ne le pouvaient pas. Les premiers bénéficiaient du petit taux d’impôt alors que les seconds se voyaient imposés au maximum même s’ils avaient l’intention de laisser une partie de leurs revenus dans l’entreprise afin de faire croître leurs affaires. Au fil du temps l’Ordre des professions y a consentie, mais au compte-gouttes. Après beaucoup d’effort et de coûts, voilà que les règles changent!

RÉGIONS ET PETITES LOCALITÉS
Ces changements de critères sont d’autant importants que l’on retrouve dans les régions et dans les petites localités un plus grand nombre d’entreprises affectées par la perte de DPE.  L’on n’a qu’à penser aux entreprises saisonnières qui embauchent un employé à temps plein (souvent le patron) et un ou deux employés à temps partiel.  Pour eux le plafond de 5 500 heurs sera difficile à atteindre.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante estime à 42 000 travailleurs autonomes et 33 000 entreprises qui seront affectées par ces nouveaux critères. Alors que l’entrepreneuriat semble plus faible au Québec qu’ailleurs au Canada, il va de soi que ces nouvelles normes n’inspireront pas davantage les gens ayant l’intention de se lancer en affaires.

MAIN GAUCHE À MAIN DROITE
L’ironie de toute cette nouvelle mécanique est que le gouvernement du Québec ayant décidé d’abaisser les impôts des sociétés de 0,4% sur 4 ans, il semble que ce sont les travailleurs autonomes et professionnels incorporés qui en feront les frais.

DÉSINCORPORATIONS?
Évidemment si l’actionnaire propriétaire encaisse la totalité des bénéfices de son entreprise, la façon dont sont structurées nos lois fiscales fait en sorte qu’il ne paie pas moins d’impôt.  Toutefois cette règle de la déduction de la DPE est pour donner un coup de pouce aux entreprises, leur permettre de bénéficier de plus de ressources pour grandir et investir cette économie d’impôt. Maintenant elles devront la payer en impôt au lieu de l’investir.  Ces règles entraîneront un suivi administratif plus serré afin de se conformer. Encore de la paperasse.

Je ne voudrais pas vous laisser croire qu’il n’est plus avantageux de s’incorporer même si vous devenez sujet aux nouvelles règles. Il y aura dans plusieurs cas encore un avantage à le faire, si vous laissez les bénéfices dans la société au lieu de les utiliser pour faire votre épicerie. De même si votre entreprise ne se qualifie plus pour la DPE, et que vous vous rémunérez seulement au moyen de dividendes, un appel à votre comptable est de mise.

L’économie québécoise va-t-elle si bien que l’on puisse se permettre de freiner l’élan des entreprises? Pendant ce temps le taux d’imposition des petites entreprises au Manitoba est de zéro pour cent! Peut-être assisterons-nous à une vague de désincorporations.