Affrontements fiscaux à l’horizon

Publié dans la Canada-Français, édition du 18 janvier 2018

Pour la majorité des lecteurs, l’annonce en décembre dernier de l’adoption du budget américain est une nouvelle probablement anodine. Pour la majorité des fiscalistes et économistes, il s’agit d’une annonce de conflit fiscal planétaire. Le moins que l’on puisse affirmer c’est que le président américain sait bien comment créer des conflits. De partout sur notre globe, la majorité des différents ministres des Finances affirment sans réserve que les nouvelles règles forceront leur pays à modifier les propres législations. Une baisse d’impôts de 1 000 milliards de dollars sur 10 ans, ce n’est pas rien!

Les nouvelles règles visent à la fois les particuliers et les entreprises. Au niveau des particuliers les Canadiens propriétaires de biens aux États-Unis seront heureux d’apprendre que les droits successoraux ne seront applicables qu’aux actifs d’une succession ayant une valeur combinée excédant 11 millions de dollars, comparativement au 5,5 millions auparavant. Je toucherais l’impôt des sociétés, car c’est sur ce que nous en subirons collectivement les conséquences.

TAUX

C’est au niveau de l’impôt de société que les nouvelles règles suscitent la grogne des autres pays et affecteront le Canada. Ces changements importants touchent le taux d’impôt, l’assiette fiscale et l’amortissement accéléré. Le Canada avait l’enviable réputation d’avoir des taux fiscaux parmi les plus bas de la partie occidentale de la planète. Qui ne se souvient pas de la fameuse transaction Burger King. Cette dernière avait acheté la société canadienne Tim Horton, afin d’y établir son siège social au Canada et ainsi réduire ses impôts. Avant la réforme, les États-Unis avait un taux d’imposition des grandes sociétés d’environ 13% plus élevé qu’au Canada. Selon les nouvelles règles, l’impôt sur les sociétés passe de 35 % à 21 %. La réforme prévoit également un dispositif incitatif pour rapatrier aux États-Unis les bénéfices réalisés par les entreprises américaines à l’étranger en les faisant bénéficier d’un taux bonifié à 15,5 %.

TERRITOIRE

Le principe fiscal général veut qu’une entreprise (comme les individus d’ailleurs) soit imposée sur ses revenus mondiaux et réclame des crédits sur les impôts payés dans d’autres pays. Vous en conviendrez, cela demande beaucoup de suivi et paperasse administrative. La réforme fiscale américaine fera de sorte que les entreprises n’auront plus à payer d’impôt américain sur la majorité des revenus gagnés à l’extérieur des États-Unis. De plus les revenus des filiales étrangères ne seront plus imposés, alors qu’ils étaient autrefois de 35%.

AMORTISSEMENT

Une règle importante de la fiscalité est à l’effet que les entreprises peuvent déduire annuellement une partie du prix d’achat de leurs équipements. À titre d’exemple, au Canada le taux de déduction annuel varie souvent de 4% à 33%, ou plus dans des cas exceptionnels. La réforme fera de sorte que pour les 5 prochaines années les entreprises pourront déduire la TOTALITÉ du coût des équipements acquis. Vous imaginez, déjà l’impôt sera plus bas, et avec les profits réalisés, l’entreprise pourra acheter de nouveaux équipements et les déduire.

CONCURRENCE MONDIALE

Sentant déjà la menace, plusieurs pays ont réagi face à ces nouvelles mesures. La France, l’Australie et la Grande-Bretagne ont déjà annoncé des mesures afin de répondre à la réforme américaine. La Chine a à son tour annoncé le 28 décembre dernier certaines mesures d’exemptions fiscales pour les entreprises étrangères.

Cette réforme Trump arrive à un bien mauvais moment pour l’économie canadienne. Déjà le Canada est aux prises avec la menace de la fin de l’ALÉNA, de l’imposition de frais douaniers et compensatoire abusifs, qu’il devra voir la fin de ses attraits fiscaux pour les entreprises mondiales. Que sera la meilleure stratégie pour les entreprises canadiennes qui font affaires aux États-Unis? Il y a de fortes chances que ce soit simplement de transférer leurs opérations aux États-Unis. Montréal a-t-elle encore des chances d’attirer Google ? Probablement que la réforme Trump changera les données.

À une époque où les entreprises canadiennes ont de la difficulté à trouver de la main-d’œuvre qualifiée, il y a fort à parier que l’amortissement accéléré permettra aux manufacturiers américains d’acquérir plus facilement de l’équipement robotisé pour faire tourner leurs usines.

CONSÉQUENCES

Est-ce la bonne façon de faire alors que l’on verra de plus en plus de commerce se faire en ligne et échapper aux règles fiscales? On peut en douter. En théorie, la réforme américaine semble une bonne idée. Toutefois, si vous y ajoutez de fortes dépenses d’amélioration d’infrastructures, d’équipements militaires, et une réduction des revenus d’impôts, on est loin d’une combinaison gagnante. Aux États-Unis, selon la Commission parlementaire conjointe sur la fiscalité, la réforme Trump va réduire les recettes de l’État de 1000 milliards de dollars sur dix ans et augmenter d’autant à une dette publique qui atteindra 20 000 milliards de dollars. Les États-Unis sera l’un des pays le plus endetté au monde! Attention au vieux dicton: «Quand les États-Unis éternuent, le Canada attrape la grippe».

Si lors de prochains budgets vous entendez nos gouvernements abaisser les impôts des sociétés ou leur accorder certains bénéfices, ne croyez surtout pas que ce soit pour avantager les gens fortunés. Non, ce sera tout simplement une mesure de survie pour les entreprises canadiennes.

Christian Dufour, auteur/author